Ils ne seront pas prioritaires pour rouvrir au moment du déconfinement. L’avenir des petites structures culturelles comme les théâtres et les cinémas Arts et essais est flou et, pour certains, remis en question.
"C’est la première fois que la crise est mondiale à ce point-là. C’est inédit ! Depuis les frères Lumière en 1895, les projections ne se sont jamais arrêtées. Il y a eu deux guerres mondiales depuis et même des projections dans des pays en guerre. Les cinémas font partie des rares lieux qui sont ouverts 365 jours par an", témoigne Roger Faure, Président de l’association des cinémas indépendants de Bourgogne-Franche-Comté (CIBFC), qui craint que des cinémas ne réouvrent pas.Cela fait maintenant un mois que les cinémas, les théâtres et les galeries sont fermés au public. Et ils ne rouvriront pas le 11 mai à la fin du confinement et il n'y a aucune indication sur la date à laquelle ils pourront reprendre leur activité. Comment ces établissements espèrent-ils de sortir de cette situation de crise ? La question a souvent provoqué un rire nerveux chez nos interlocuteurs.
Les petites scènes en grande difficulté
La situation est plus compliquée pour les jeunes structures. Carlos Goncalves a ouvert son café-théâtre, le Darcy comédie, à Dijon (Côte-d'Or), il y a tout juste un an. Du coup, il n’a ni bénéfice, ni trésorerie.L’avenir lui paraît incertain : "au moindre nouveau cas, les salles vont se vider à nouveau. Les gens vont être très frileux. On va repartir en vivotant, donc ça va repousser le moment où les choses vont vraiment redémarrer.
Ça va être compliqué parce qu’on n’a qu’un an d'existence et un crédit de 100 000 euros sur le dos."
Le gérant a un salarié et trois intermittents. "On nous a fait espérer 1500 euros et je ne les ai pas. Je monte des dossiers mais je ne sais pas ce que je peux en attendre. On est sommé de payer les loyers. Personne ne nous a fait de cadeau, pas même l’État. Je ne sais pas si je peux vivre cinq mois sans demander d’argent à ma famille", explique l’homme de théâtre.
Carlos vient de rejoindre l’association "Théâtres privés en région" - créée à Montpellier - qui s’est constituée durant la crise pour tenter de faire entendre leur voix.
Clap en suspens pour les cinémas
Tous les cinémas indépendants sont dans l’attente.À Saulieu (Côte-d'Or), Olivier Thiébaut, vice-président du cinéma associatif, explique : "on attend les consignes, on navigue à vue. On ne sait pas du tout comment va se passer la réouverture."
"On a sollicité l’aide pour les très petites entreprises. On attend de voir ce que vont donner les aides au niveau régional et il y a possibilité aussi de solliciter le fonds de soutien du CNC."
"Je ne sais pas si ce sera suffisant", témoigne Olivier Thiébaut.
Avant la crise, son unique salle avait un taux d'occupation satisfaisant, 13,7 %, contre 11,4 % en Bourgogne Franche-Comté et 13 % en France.
Des travaux en suspens
Son cinéma à lui devait être fermé de juin à septembre… pour travaux. Valéry Dumurgier, directeur du cinéma Nuiton, à Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or), se veut quand même optimiste : "On survivra car on a une trésorerie qui nous permet de tenir le coup mais, pour certains, cela risque d’être compliqué"."On a trois mois de perte d’exploitation. C’est gérable. Si ça reste comme ça, on accusera le coup et on piochera dans la trésorerie. Mais si c’est fermé de mi-mars à fin décembre, ce sera plus délicat."
Ce qui inquiète, c'est la date de réouverture : "j’ai fait le tour des collègues et on se dit que si on ne doit ouvrir que pour occuper un rang sur deux, c’est compliqué.
Et quand vont sortir les films ? Beaucoup de sorties sont repoussées jusqu’en novembre. Tous les films de mars-avril vont sortir en VOD et beaucoup de gens ont téléchargé en streaming pendant le confinement."
Le parc de salles en France est l’un des plus importants d’Europe. En 2018, selon un chiffre du CNC, le pays comptait 2040 établissements.
Si ça reste comme ça, on accusera le coup et on piochera dans la trésorerie.
Garder un lien malgré tout
Même fermés, cinémas et théâtre essaient de garder le contact avec leur clientèle. "Sur notre page Facebook, notre projectionniste continue de poster des courts-métrages", raconte le vice-président du cinéma de Saulieu.L’A.B.C. (Association bourguignonne culturelle), qui joue notamment au Théâtre des Feuillants à Dijon, a consulté ses adhérents et leur a demandé s’ils préféraient des reports ou de nouveaux spectacles.
"On a à coeur de mettre notre public et nos adhérents à contribution pour savoir comment ils imaginaient la suite avec nous". L’association a prévu le report de six spectacles pour le moment.
"C’est important de leur montrer qu’on est toujours là, de leur demander s’ils vont bien (...). Beaucoup ont fait don du montant de leur place à l’association pour nous soutenir."
Pour maintenir le lien, l'A.B.C publie au moins une fois par semaine des contenus en rapport avec la prochaine saison comme des vidéos, des jeux…
Revoir le modèle économique ?
Cette période de crise pousse les petits cinémas à imaginer l'avenir autrement. À Saulieu, Olivier Thiébaut pense que "c’est peut-être le modèle économique du cinéma qui est à repenser, à revoir. […] C’est plus le fonctionnement entre distributeurs et exploitants qui doit être revu.""Le système interdit aux petites salles d’avoir accès aux films avant trois-quatre semaines et en langue originale."
Il en est convaincu, "il faut faciliter l’accès aux films de façon plus équitable. Aujourd’hui, c’est un peu les gros cinémas des villes contre les petits cinémas des campagnes", conclut-il.
Responsable de communication à l'A.B.C., Simon Lépine, a lui aussi envie de faire autrement. Son collectif aimerait davantage faire appel à des troupes de théâtres locales, comme la compagnie Plexus polaire, qui propose des spectacles de marionnettes.
"On interroge nos pratiques. Le spectacle vivant est quand même une industrie pas très vertueuse en terme d’environnement, il y a beaucoup de déplacements", explique le responsable.
On veut réduire l’empreinte carbone et revenir sur un travail de proximité.
Les grosses structures moins exposées
Les grosses structures, établissement publics subventionnés, la situation est moins préoccupante. Benoît Lambert, directeur du Théâtre Dijon-Bourgogne, explique : "Le ministère de la Culture a garanti le financement des lieux de culture et a insisté pour payer les spectacles et recourir au chômage partiel pour les équipes. La Ville de Dijon nous a confirmé sa subvention, la Région aussi."Se disant "moins dépendant de la recette que les théâtres privés", il est prêt à présenter un spectacle dès que possible.
Le coronavirus n’a pas tué l’art, qui n'a jamais été aussi accessible en ligne, mais il pourrait bien faire des victimes collatérales si les salles et les scènes doivent attendent encore longtemps leur réouverture.